Chaque année, des centaines d’habitants des Antilles Françaises prennent la décision de quitter leur île pour se faire soigner en France métropolitaine. Ce phénomène, souvent désigné par le terme « taux de fuite », pose des questions importantes sur les motivations et les contraintes qui poussent ces patients à entreprendre un tel voyage médical.
Les raisons derrière la migration médicale
Pour de nombreux patients, la décision de se faire soigner en France hexagonale n’est pas le fruit d’un simple caprice. Différents facteurs jouent un rôle prépondérant dans cette décision. Parmi eux, les délais d’attente pour certains traitements et examens médicaux en Martinique et Guadeloupe sont souvent cités. Joëlle Fanny, une mère célibataire de quarante-quatre ans, évoque son expérience en déclarant qu’elle a dû attendre trop longtemps pour certains examens cruciaux, ce qui l’a poussée à chercher un second avis à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif, en région parisienne.
D’autres, comme Nathalie Chillan, fondatrice de Kayso – une plateforme d’assistance santé pour les Antilles-Guyane –, soulignent que la discrétion et la qualité des soins spécialisés en métropole, notamment pour des maladies telles que le cancer de la prostate, sont des motivations importantes. En effet, la peur de ne pas recevoir un traitement adéquat ou la confiance vacillante envers les institutions locales sont autant de critères qui influencent cette décision.
Les défis d’une telle démarche
Partir pour se faire soigner en métropole implique aussi une réorganisation de toute une vie, tant sur le plan personnel que financier. Joëlle Fanny explique la complexité de devoir organiser la prise en charge de ses parents âgés et de ses enfants pendant son absence. Les dépenses engendrées par un tel déplacement ne sont pas toujours couvertes par les organismes de sécurité sociale, surtout lorsque la maladie pourrait théoriquement être traitée localement.
Marina Maliapin, originaire de Guadeloupe, a vécu quatorze mois d’errance médicale avant de finalement rester pendant six mois en France métropolitaine pour recevoir des traitements appropriés. Elle décrit cette période comme extrêmement éprouvante, soulignant le choc émotionnel de l’éloignement familial et les coûts engendrés par cette décision. Pour Marina, le montant de ses dépenses, qui s’est élevé à environ 3 000 euros en dehors des soins, reflète un coût à la fois financier et émotionnel.
La perception des soins dans les Antilles
La perception de la qualité des soins dans les Antilles joue un rôle crucial dans la décision de ces patients. Nombreux sont ceux qui estiment que les infrastructures locales manquent de personnel qualifié et de moyens pour offrir des soins équivalents à ceux proposés en métropole. Joëlle Fanny rapporte n’avoir jamais eu de suivi par le même médecin, ce qui a renforcé son sentiment de méfiance.
Cependant, il convient de noter que, selon l’Agence Régionale de Santé de Guadeloupe, le « taux de fuite » est en légère baisse depuis 2019. Malgré cela, il restait encore élevé en 2024, touchant notamment des spécialités telles que la chirurgie (7,9%) et la médecine générale (5,8%).
Un besoin de réformes
Face à ces constats, de nombreuses voix s’élèvent pour appeler à de profondes réformes du système de santé dans les Antilles. L’amélioration de la qualité des soins, la réduction des délais d’attente, et l’augmentation des ressources matérielles et humaines sont parmi les principales pistes évoquées.
Nathalie Chillan souligne l’importance d’une meilleure collaboration entre les professionnels de santé des Antilles et ceux de la métropole pour échanger des pratiques et bénéficier d’une formation continue adaptée. De plus, un investissement accru dans les infrastructures médicales et des programmes incitatifs pour attirer et retenir le personnel qualifié dans ces régions sont jugés essentiels pour inverser cette tendance migratoire.
En conclusion, le choix pour de nombreux Antillais de se faire soigner en métropole reflète une problématique complexe liée à la qualité et à l’accessibilité des soins dans leurs îles natales. À travers une série de réformes et d’initiatives, il est toutefois possible d’améliorer la situation pour garantir à tous les patients un accès équitable à des soins de qualité, quel que soit leur lieu de résidence.
